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Tantôt colorée, tantôt superficielle, parfois kitsch, trash ou festive, Miami look at me propose une vision plurielle de la métropole floridienne, où le meilleur et le pire s’embrouillent de manière indicible. Les 7 photographes de l’Archipel l’ont prise d’assaut avec, pour seule contrainte, de prendre des photos à des heures précises. Miami look at me est la résultante de leurs errances, découvertes et rencontres. Et surtout, de leurs sept démarches respectives, enchevêtrées au point de n’en former qu’une seule. Le tout se présente comme un savoureux mélange de subjectivités, dénué de contraintes autre que la nécessité de capter un moment… au même moment.
Commissaire de l'exposition: GENEVIÈVE LAROUCHE
CAR CRUSH
Dédé a trouvé sa voie. Il vend du vent. Dans sa Edsel Corsair 59, il a tout pour plaire : une allure soignée, une gueule de gentil, une grosse bagnole qui traverse les décors pastel-néon de Miami. Les cheveux des filles s‘envolent. Des hommes se prennent pour des boss.
Plongée dans cet univers édulcoré, je me laisse tomber, moi aussi, sous le charme de ces grosses bêtes à quatre roues aux sièges de cuirette brulants. Je savoure la fascination qu’elles exercent sur les passants. Le rêve américain en somme : l’illusion de liberté, l’aspiration à la richesse, la nostalgie et un goût totalement assumé pour l’exagération.
En passagère de la Buick Electra 225, en ce mois de juin 2017, sans ceinture de sécurité, sans contrôle ni sur la vitesse ni sur la destination, je saisis ces éphémères instants de bonheur vécus à l’unisson, les cheveux au vent. Le vent que vend Dédé.
LE L DE MIAMI
30 mai 2017, 18h30. Liberty City, l’inhospitalière et ses recoins peu sécuritaires.
Le taxi me dépose devant la « New Covenant Presbyterian Church », une église érigée aux abords d’un boulevard. Adjacent à l’église, un bâtiment clôturé et grillagé avec un petit parc abandonné. Aux alentours, des maisons modestes, parfois mal entretenues, aux fenêtres et aux portes grillagées elles aussi.
Je commence à photographier l’édifice. Par terre, une lettre tombée d’un tableau d’affichage, puis partie au vent. Je la glisse dans mon sac. Je m’attarde à photographier le clocher et sa croix. Un homme rôde à vélo. Puis une dame âgée arrive en voiture, m’interpelle et me questionne.
Je ne devrais pas être ici, seule. J’appelle un taxi.
Miami déploie ses différentes facettes selon ses districts, mais un point commun entre chacun est que vous n’avez qu’à parcourir quelques coins de rue pour trouver un lieu de culte. Ces temples furent ma porte d’entrée pour découvrir la ville.
MIAMI-DADE TRANSIT EASY TICKET
Juste un petit bout de papier. Mais il faut trouver une borne. Il faut une carte de crédit. Il faut un code postal américain. Il faut une astuce. Ça semblait si simple !
EASY ticket donne accès aux quatre coins de Miami. Dans ces quatres coins, il y a des téléphones publics qui sont pour moi des guides touristiques. Ils me font visiter Miami de Coconut Grove à Little Haïti, en passant par Brickell, MidBeach et Wynwood. Ils ont eu leur vie aussi. Ils ont dépanné des gens perdus, servi des clients réguliers, gobbé des sous. Certains recommandent des films, restos, ou affichent une carte de la ville. D’autres sont vieux, en fin de vie ou morts depuis longtemps.
En cherchant les téléphones, je découvre la ville de Miami que l’on ne voit pas si souvent. Au fait, il n’y a pas de téléphone sur les plages. Ç’aurait été trop simple.
MIAMI BEACH
J’aime l’idée de collectionner. Ramasser des souvenirs captifs que l’on choisit pour la maison. C’est un petit bout d’ailleurs rappelant l’instant vécu qui s’efface sinon. Comme un aide-mémoire.
Les trophées les plus transportés et les plus affichés chez les collectionneurs de soleil semblent être les coquillages, le sable et les cailloux. Ils sont le cliché du souvenir. La plage est le cliché de Miami.
J’ai tenté de photographier la plage, son environnement et ses visiteurs afin de les capter en mode loisir. D’apprécier les détails de ce lieu de repos, d’allégresse et d’échanges, sans se soucier du temps qui passe.
Le contact de l’eau avec la peau nous amène à prendre une pause. De mon point de vue, je me suis arrêtée pour capter un détail, un mouvement, un minuscule bout de ce lieu dans un clignement de paupière.
SANS TITRE
Qu’est-ce que je fuyais, déjà ?
Fait chaud. Shit. Fait vraiment chaud. 2650 km, c’est comme changer de planète. Même heure, même ciel que chez moi. Mais c’est pas mon monde. Leur tan, c’est pas mon tan. Les gens sont comme off track. Un soir de psychose commune, spring break forever, Miami, tu m’étourdis. Je pourrais m’évaporer en toi, fondre sur ton sable trop chaud pour mes pieds nordiques. Tu me bouscules dans le ressac de ta crowd fuckin’ trash. Moi : bibelot de verre en forme de biche.
Je pensais fuir en toi comme on se claque une couple de gins-tonics. Calmer le torrent qui était sur le bord de m’emporter. Mais tu cries tellement fort. Plus que moi.
Les yeux levés vers le même ciel que chez moi, au dessus de tes murs blancs en béton anti-Katrina, je flotte entre deux planètes. Et je m’oublie. Le temps d’un voyage à Miami.
BOMBE AÉROSOL
Midi. Soleil au zénith. J’attends une vedette. Ma vedette. Midi et quart. Patience. Je dois l’avoir dans mon film ce Danilo. Midi et demi. Je compose son numéro : pas de réponse. En 2014, Danilo voulait libérer pour Noël dans les rues de la Havane 2 cochons tatoués de sa main. L’un au nom de Fidel, l’autre au nom de Raoúl. La tradition veut qu’on mange de cet animal les jours de fête sur l’île. Midi quarante-cinq. J’attends. Les minutes se muent en secondes. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Canicule. Je n’ose pas imaginer la prison où Danilo a été jeté sans autre forme de procès. 8 mois de captivité. Treize heures. Miami figée comme une photographie. C’en est assez. Danilo ne viendra pas. Il est une utopie. Mon utopie. Driiiing ! ¿ dónde estás ? Ma vedette !
20 millions de secondes : c’est ce qu’a volé la dictature à Danilo. Les miennes passées sous le soleil ne valent rien à ses yeux. Je les découvre enfin, ses yeux. Sombres telle une geôle. On m’avait beaucoup parlé de lui. Mais lui, il ne parle pas, sinon à coup de bombes.
SANS TITRE
C’est le 31 mai, 7h30, je suis réveillée depuis 5h30 pour faire les photos à l’aube. J’ai un besoin fou de café. Je me dirige alors vers MIAM, un café dans Wynwood dont toute la façade de l’édifice est peinte d’un motif géométrique de lignes noires et blanches. Je descends de mon Uber pour découvrir que le café n’ouvre qu’à 8h. Le café est situé dans un coin désert et industriel. C’est tôt mais le soleil est déjà très, très chaud ! Je prends mon temps et me dirige vers Panther, un autre café tout proche, en m’arrêtant à plusieurs reprises pour prendre des photos. Je ramasse par terre dans une rue tranquille un petit pamphlet pour un party de « Memorial Day » qui a eu lieu dans un club de Wynwood. Cela me rappelle le crowd complètement débridé que j’ai observé dans les rues et sur la plage de South Beach il y a quelques jours.
Ouindigo, nom originel et diabolique de l’île. Ce lieu est également le symbole de l’histoire d’une Nouvelle France pieuse. Dieu qui s’oppose et s’impose au diable. L’illustration des contradictions qui habitent ce morceau de terre ancré au milieu des eaux du fleuve St Laurent.
À force de tourner en rond pour en trouver le sens, l’île s’extrait rapidement de ses clichés. Une exploration contrastée et paradoxale proposée par les sept artistes de l’Archipel.
Commissaire de l'exposition
ÉRIC SOULIER
Baptisée ‘Ouindigo’ par les amérindiens, l’Ile d’Orléans n’a pourtant rien d’un coin ensorcelé. À moins peut-être que la route principale ne vous mène dans ces recoins diaboliquement gourmandsque l’île ne sait même pas cacher?
Un besoin de rencontre avec le divinement bon, le sucré, m’a menée à découvrir des âmes passionnées par le goût et les choses bien faites.
Douceur, grisaille, mélancolie et beauté naturelle qui m’inspirent. Pureté des couleurs, perturbations et lignes qui accrochent mon oeil. À la fois une découverte de ce lieu bien de chez nous et sa première rencontre avec mon objectif. Une introspection avec ma passagère, celle qui m’accompagne pendant neuf mois.
C’est un portrait de l’île sans ses insulaires. De toute façon, je n’ai pas trouvé le courage de photographier les gens. Je n’avais rien à leur offrir. Je me suis donc égaré dans le temps, là où la terre rencontre l’eau. C’est sur les rives de l’île que j’ai découvert les marées, les grèves, le nordet et Marie-pas-de-mains.
Tirer sur ses racines. S’arracher à la terre et se créer ses propres repères. De pied ferme dans les champs, le vent se raconte, se définit, chargé des récits du large. Prendre la route, suivre la ligne qui se tord et se recourbe. Plonger dans une scène de carte postale, reportage de La semaine verte. Soulever le tableau, le retourner. Littéralement. La déroute d’un paysage si familier qui perd son sens si on le regarde trop longtemps.
Ils sont fiers les seigneurs de ces terres. Leurs familles, avec pas un sou en poche, ont défriché cette île pour en faire un bouquet. Des centaines d’années plus tard, malgré la Conquête, ils sont toujours là, enracinés. Sur l’île, il y a un parfum d’éternité. Le pont qui la relie au reste du monde est encore récent. Et pourtant. Le temps cyclique n’est plus. La ville avale les paysages qui l’entourent. Maintenant que la terre boit du gaz plutôt que de la sueur, maintenant qu’elle vaut des millions, elle ne leur appartient plus. Même les lopins transmis de génération en génération, dans la famille, sont devenus de grosses business qui roulent sept jours sur sept.
Quand on entend parler de l’île d’Orléans on pense aux belles fraises pour lesquelles l’île est reconnue. Je suis arrivée sur l’île à la recherche d’une ferme qui engageait des Mexicains. Je voulais connaître leur réalité et leurs histoires. C’était curieux d’arriver sur la Ferme Onésime Pouliot et de voir des enseignes en français et en espagnol et de trouver le propriétaire de la ferme au téléphone en train de parler en espagnol. C’est cette opposition de deux cultures si différentes et en même temps une cohabitation en apparence très amicale qui me fascine. En passant quelques heures avec ces vaillants travailleurs, j’ai pu renouer très facilement avec mon espagnol de base et en apprendre un peu sur leur vie au Québec et au Mexique. C’était apparent que plusieurs font un grand sacrifice en venant au Québec travailler si loin de leur famille et de leurs proches pendant la moitié de l’année. Chaque fois que je verrai des fraises de l’île d’Orléans, je me rappellerai les visages de ceux qui les cultivent et les cueillent.
La Havane, cœur de Cuba. Une histoire qui bascule, un monde qui s’ouvre vers l’extérieur. De l’extérieur et de l’intérieur.
Les Cubains vivent avec un accès limité au monde extérieur, se battent fièrement pour donner un sens à leur monde intérieur. Existe-t-il un contraste entre ces deux mondes? S’entremêlent-ils au contraire de manière organique et singulière? Comment cette dualité s’exprime-t-elle, dans l’œil de six artistes de l’extérieur, à la recherche de l’intériorité cubaine?
Commissaire de l'exposition
CATHERINE GRAVEL
L’intelligente indifférence. Devant ces vitrines dégarnies se déploie l’énergie hors du commun d’un peuple combatif rendu fort par une histoire et une situation uniques au monde. L’apparente indifférence des passants suggère une conscience aiguë du manque, mais aussi une appréhension évidente d’un futur incertain. La Havane est une ville fantôme plus vivante que jamais.
Je me doutais bien que La Havane était plus vaste que ces images éculées qu’on voit sur Google : hommes fumant le cigare, vieilles femmes plissées et taxis des années 50 sur fond de pauvreté. Oui, il y a encore un peu de ça. Mais il y a aussi ce vent de modernisme éclectique qui anime les rues de la ville. Et il y a surtout ces gens inspirants que j’ai rencontrés. Afin de conserver la profondeur et l’universalité de leur image, j’ai décidé de les capter hors de leur environnement, seuls et sans distractions.
Un moment de découverte. Prendre le temps pour observer et trouver l'extraordinaire dans les choses du quotidien.
Celui de la Havane, son histoire et son peuple. De l'infiniment petit à l'infiniment humain. Textures, personnalités, formes et couleurs se marient le long des lignes naturelles de mon espace. A l'avant-plan de leur cadre de vie, les rencontres et les découvertes brillent dans un instant spécial, celui que l'on prend pour observer, respirer, et se reconnaître.
Pedro Campos rêve toujours au socialisme. Pas celui des Castro qui a tourné au cauchemar. Non. Un socialisme démocratique. Face au problème cubain, qui remonte aux origines mêmes de la Révolution, il n’y a pour l’ex-diplomate qu’une solution : que le peuple devienne son véritable maître d’œuvre. Mais 57 ans de dictature ont eu raison de l’idée du socialisme à Cuba. Ne reste alors qu’à attendre les réformes. Sauf que par son processus de libéralisation économique, le Parti cherche surtout à maintenir coûte que coûte son emprise sur la société, comme au Viêt Nam. Le plus urgent pour lui est de mettre fin à l’embargo de son ennemi juré, les États-Unis, afin d’inonder l’île de dollars et de donner un nouveau souffle... au régime. Sans surprise, les négociations entre les deux pouvoirs relèguent dans l’ombre la question des libertés les plus élémentaires dont sont privés les Cubains et les Cubaines depuis si longtemps, et ce, dans l’indifférence généralisée. Les dissidents, acteurs principaux de ce documentaire, regardent certes ces négociations d’un mauvais œil, mais ils sont loin d’être en mesure, paralysés qu’ils sont par la peur et par la haine qu’ils ressentent les uns envers les autres, de constituer une force politique digne de ce nom. Or, seul un mouvement de masse peut renverser une dictature. « Le Parti ou la mort », usant de la poétique du chessboxing, fouille la culture cubaine pour y déterrer les armes de son émancipation possible.
En 2013, les Archipeliens ont une fois de plus pris l'occasion de partager un moment de création dans un environnement qui les inspire. Leur choix s'est posé sur le joyau historique qu'est la ville de la Nouvelle-Orléans.
Chacun y est allé de son interprétation des lieux et de ses acteurs tout en découvrant ensemble que le sens du partage va bien au-delà des limites de ce studio.
Inspirée par les lignes, les textures et les couleurs d’un lieu en découverte, cette série présente un instantané sur une ville brisée par la nature mais où règne toujours un esprit de fête, un engouement visible pour la musique et les arts.
Rencontres bénies. Toujours à la recherche de l’authenticité des lieux, “Rencontres bénies” représente un extrait des rencontres faites dans les rues de La Nouvelle Orléans. Tous ces gens ont en commun d’être en attente de quelque chose : pour l’une c’est le traversier du Mississipi, l’autre, la fin du cycle de lavage, l’autre encore, son shift de chauffeur sur la célèbre ligne St Charles, et plus loin dans la banlieue, un paroissien attend le curé qui finit sa messe gospel. Dans une ville où les croyances de toutes sortes sont perceptibles au premier coup d‘ œil, ce temps d’attente que le photographe amie tant et qui permet cette rencontre souvent éphémère et toujours mémorable, est en quelque sorte béni.
Louisiane, 2013. Le français est sur le point de disparaître. Deux réalisateurs, David Simard et Christian Fleury, poursuivent avec "Tout le monde veut être un cadien" leur enquête amorcé l'année précédente sur cette mort programmée. Deux intellectuels ayant à cour le fait français en Louisiane entreprennent un dialogue imaginaire pour en expliquer les raisons. L'un veut voir naître une nouvelle communauté francophone unie et modernisée tandis que l'autre représente la position majoritaire des enfants aujourd'hui complètement américanisés. Aux interstices de leurs discours se révèlent les contradictions sociales et politiques qui les ont historiquement divisés et qui continuent encore aujourd'hui de les séparer. En parallèle à ce dialogue, des membres de cette communauté qui assistent impuissant à l'éclipse du français poétisent l'ouvre en nous offrant, non sans une pointe de nostalgie, les derniers vestiges du dialecte de leurs ancêtres.
L’ idée de départ était de créer un contexte favorable à l’ inspiration et au rassemblement. Partir en roadtrip était la solution.
Portland, Maine fût la destination que l’Archipel a choisie pour son premier projet commun de création.
La vieille ville de Portland a été notre terrain de jeu pendant trois jours. Le résultat en fût une exposition à thématique maritime où les sept membres du moment ont offert leur vision unique du lieu et cette expérience fût à l’origine de nos voyages annuels dédiés à la création personnelle.
Ferry Tale. Les Casco Bay Lines qui assurent les liaisons entre la ville de Portland et les iles des environs permettent tous les jours aux insulaires de rejoindre leurs lieux de travail, leurs écoles, visiter leurs proches ou transporter leurs achats encombrants. Par beau temps, le pont de ce bus pas comme les autres a des allures de croisière.. pas comme les autres. Se placer en spectateur de cette scène de la vie locale permet de ressentir une certaine idée du bonheur.
Ombres et lumières s’accordent avec les lignes architecturales des maisons sur Peaks Island. Composition naturelle qui séduit mon oeil et permet de croquer un instant du quotidien.
La nouvelle aventure de Christian Fleury et David Simard nous emmène dans le Maine pour y découvrir les vestiges de la culture francophone. Construit chronologiquement, ce court documentaire scrute d'abord l'histoire de l'immigration francophone aux USA à travers le récit de ses personnages attachants venus d'une autre époque. C'est seulement vers la fin que nous entrevoyons, ô douce ironie, un avenir pour la culture francophone qui pourtant fut pratiquement balayé par la réussite sociale et l'intégration culturelle des générations antérieures. La rencontre avec les artisans de l'École française du Maine ouvre cette perspective inattendue, ici l'illustration parfaite de la libéralisation de la société américaine qui tend à valoriser sa diversité. C'est sans nostalgie et avec une simplicité technique des plus contemporaines que les réalisateurs abordent ce sujet méconnu.